Conférence du Professeur Nicolas FRANCK
« Les effets du confinement sur la population »
le jeudi 8 avril 2021 en vidéoconférence
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L’angle des recherches du professeur Franck part du questionnement suivant :
– Comment notre fragilité, nos forces psychologiques actuelles vont-elles nous permettre d’affronter cette période qui s’éternise ?
Pour obtenir réponse à cette question, une enquête a été lancée au printemps 2020 pour mesurer les réactions et les attitudes de la population, et ce, sur un échantillon de 11 400 personnes, interrogées sur la base d’un long questionnaire précis.
Dans ce contexte de situation inédite et inconnue jusqu’à présent, avec une perte complète de repères, comment la population a-t-elle fait face à ce changement très brutal de mode de vie ?
CONSÉQUENCES DES CONFINEMENTS SUR LES POPULATIONS
Globalement, cette crise sanitaire a généré du stress, de la sidération, ce qui nécessite la reconstruction de repères et le développement de la résilience.
Il est, également, constaté, lors du premier confinement, de la détresse au long cours – corroborée par des situations similaires dans des pays voisins comme l’Italie – nécessitant un accompagnement médical en santé mentale.
D’un point de vue de la santé mentale, le deuxième confinement a été plus délétère parce que venant à la suite d’une série d’épreuves vécues lors du premier confinement ce qui signifie que ce n’est pas parce que les confinements sont plus allégés qu’il est plus facile pour la population de lutter et de s’organiser.
Les résultats de l’enquête démontrent :
– une perte de liberté de circulation, un isolement social imposé, un désœuvrement, une désorganisation et une désagrégation du quotidien, une perte de repères (pour certains, «on dort à n’importe quelle heure», «on s’alimente n’importe comment, sans exercice physique») ainsi que la peur de la contamination, et la peur de la mort pour soi-même et nos proches.
– progressivement, la population est passée d’un stade de bien-être à un stade de mal-être, et pour les plus fragiles, lorsque plusieurs symptômes s’agrègent, il convient de noter qu’un nombre plus important de personnes que d’ordinaire a connu des troubles avérés de santé mentale – modification de la réalité, crise d’angoisse, troubles anxieux, dépressions, addictions, troubles mentaux sévères, de par les confinements successifs.
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RÉSULTATS QUANTITATIFS D’ENQUÊTE
Pendant la deuxième semaine du premier confinement, 50 % des actifs travaillait ou étudiait dans la journée, mais 1% de la population ne parlait avec personne, 1,5 % de la population n’avait pas accès à l’internet, une personne sur cinq allait sur l’internet plus de quatre heures par jour.
Il s’agit là d’une diminution significative du taux de bien-être de la population passant de 55% à 49%, notamment pour la population étudiante avec une altération importante de 46% à 43%.
Concernant la consommation :
– une personne sur cinq consommait plus de café, plus d’aliments gras ou sucrés ;
– une personne sur trois s’alimentait n’importe comment et sans structuration sociale ;
– une personne sur cinq a augmenté sa consommation d’alcool, de tabac, d’aliments caloriques, de cannabis et son temps passé sur les écrans.
Autre constat de l’étude :
– plus les personnes avancent en âge, plus il leur est facile de lutter contre le confinement, lequel est mieux supporté dans un confort réel, cette faculté de résistance augmentant au fur et à mesure des tranches d’âge.
– les jeunes adultes sont ceux qui ont le moins bien supporté le confinement : plus on a des assises et plus on a construit sa vie, mieux on supporte le confinement. Plus on s’isole, pire c’est. Il est également constaté que le bien-être mental diminue au fur et à mesure des confinements, d’où la déduction selon laquelle il est préférable de diminuer la durée de ce type d’épreuve.
EN CONCLUSION :
Les confinements successifs ont été de véritables épreuves pour les Français.
Pour conclure, le professeur Franck a prodigué quelques conseils pour mieux les supporter :
– le premier, planifier ses activités : plus on organise ses journées, plus c’est facile ;
– le second, conserver une activité physique : sortir de chez soi car ne pas le faire est un facteur de dégradation de la santé mentale.
– le troisième, préserver son sommeil, conserver l’heure du lever habituel, ne pas laisser son cycle se décaler.
– le quatrième, garder un lien social avec ses proches, amis, collègues, et éviter le temps inutile sur les écrans, appeler à l’aide, se préoccuper d’autrui, permettant ainsi d’apprendre la résilience et de l’entretenir,
QUESTIONS POSÉES PAR LES PARTICIPANTS
1. Que faire si les personnes ne respectent pas les obligations sanitaires ?
Réponse : créer de l’implication, de la participation et activer les responsabilités et la solidarité.
2. Les jeunes comme victimes et comme génération sacrifiée, que faire pour eux ?
Réponse : il faut, également, être solidaire, les aider à se projeter dans l’avenir et renforcer la solidarité. Les taux de suicides exacts de cette classe d’âge ne sont pas encore connus.
RAPPEL DES BASES ET DE LA MÉTHODOLOGIE DE L’ENQUÊTE
– premier confinement du 16 mars au 11 mai 2020 : 8 semaines de confinement ;
– période transitoire du 11 mai au 1e juin avec couvre-feu ;
– deuxième confinement du 30 octobre au 15 décembre 2020 ;
– période transitoire du 15 décembre au 18 mars 2021 avec couvre-feu ;
– troisième confinement du 18 mars au 19 mai 2021 avec couvre-feu, mais plus allégé.
Rappel : à l’origine, ces confinements étaient censés ne pas durer et ont été présentés comme ponctuels.
Il convient de noter que les déconfinements ont été faits progressivement car lors d’expériences antérieures de déconfinements brutaux, il a été relevé des réactions puissantes avec des attitudes de passages à l’acte, addiction, etc…
Sources
– mise en ligne du questionnaire d’enquête auprès des populations interrogées : dès la deuxième semaine du confinement.
– référence de l’enquête : échelle de mesure de la santé mentale – 14 items – Échelle : WEMWBS.
– bibliographie : «COVID 19 et détresse psychologie» de Nicolas Franck et «2020, l’odyssée du confinement» du même auteur – Édition Odile Jacob – Octobre 2020.
Marie-Madeleine Salmon
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Nicolas Franck est professeur des universités – praticien hospitalier au CHU de Lyon depuis 2005. Au centre hospitalier Le Vinatier, il est responsable du centre ressource de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive (CRR) et du pôle Centre rive gauche (exerçant une mission de secteur sur les 3e, 6e et 8e arrondissements de Lyon et une mission de structuration régionale de la réhabilitation psychosociale avec le SUR-CL3R). À l’université Claude Bernard Lyon 1, il est coordinateur du DES de psychiatrie de Lyon ; il a été responsable de l’enseignement des sciences humaines en première et en troisième année de médecine et responsable de l’enseignement de la psychiatrie à la faculté Charles Mérieux Lyon Sud. Il a créé plusieurs diplômes d’université. Il est également directeur scientifique de l’EMC-Psychiatrie (Elsevier) depuis 2013. Il a écrit de nombreux articles scientifiques et chapitres d’ouvrage. Il a par ailleurs écrit ou coordonné plusieurs livres destinés aux professionnels ou au grand public.