Conférence de Jeremy Ghez
« Les réponses de l’Europe face aux Etats Unis »
Lundi 20 mai 2019
Donald Trump est-il un accident de l’histoire ? En Europe, beaucoup sont tentés de l’espérer: la seule chose que nous semblons plus détester– à juste titre – qu’une Amérique omniprésente et unilatérale est une Amérique protectionniste et repliée sur elle-même.
Or, l’approche du président américain actuel combine à la fois unilatéralisme et protectionnisme, en se présentant aussi faucon qu’un républicain traditionnel quand il croit son pays menacé, et aussi attaché au bien-être des classes moyennes et populaires qu’un démocrate historique.
Cette synthèse «trumpienne» est au cœur de sa réussite électorale et de sa résilience politique. À moins d’un retournement de la conjoncture économique américaine, qui reste un scénario plausible, ou d’une destitution, qui reste improbable tant que le Sénat est entre les mains des Républicains, Donald Trump pourrait bien remporter un deuxième mandat.
Si c’est le cas, il conviendra alors pour nous, Européens, de tirer les leçons des nouvelles réalités politiques outre-Atlantique.
Il y a d’abord la question de l’autonomie stratégique. Les plus réservés à cette idée évoquent le risque de la duplication de l’effort et celui du découplage stratégique entre les deux alliés historiques de part et d’autre de l’Atlantique. Ces préoccupations sont fondées mais supposent que l’Europe ne peut gagner en autonomie que hors de l’OTAN et loin de l’allié américain.
Il existe pourtant une manière alternative de formuler le problème: l’Europe ne pourrait-elle pas gagner en «séniorité» dans ce partenariat en abandonnant son rôle de suiveuse pour prendre l’initiative au sein d’une alliance devenue infiniment plus politique que militaire ?
Se pose aussi la question de la réinvention politique que nous impose Donald Trump. Par sa victoire, il a ébranlé notre compréhension des divisions politiques actuelles et nos convictions d’hier, notamment la méfiance quasi pavlovienne entretenue par les Européens envers le nationalisme depuis l’après-guerre.
La vision du monde proposée par Donald Trump est très claire: une stabilité naturelle naîtra dans un monde où tous les pays du globe agissent selon leurs intérêts propres.
Le scepticisme des Européens devant cette vision est compréhensible, notamment quant aux conséquences au 20è siècle de cette approche.
Mais quelle alternative proposent-ils ?
Ayant su montrer au reste du monde ce que la «gouvernance» pouvait signifier, au niveau régional, grâce à l’organisation de la coexistence entre grandes puissances et ennemis d’hier, ils ont peut-être un paradigme alternatif à proposer.
Reste à savoir si la volonté politique européenne sera suffisamment forte et rapide.
Jeremy Ghez (juin 2019)
—-
Jeremy Ghez est Professeur d’Économie et d’Affaires internationales à HEC. Il est le directeur scientifique du Master Sustainable and Social Innovation (SASI). Il est également le directeur académique du Centre de Géopolitique de l’École. Il est l’ancien rédacteur en chef du trimestriel La Nouvelle Revue Géopolitique.
Son expertise porte sur les États-Unis, sur l’analyse prospective et géopolitique, sur les géants de l’Internet et sur le populisme. Il est l’auteur de l’essai : « États-Unis : Déclin improbable, rebond impossible » chez VA Presse. Ses travaux ont été publiés dans des monographies de la RAND Corporation et dans la revue Survival.
A HEC, Jeremy enseigne l’économie et la géopolitique au MBA, à l’EMBA et à la Grande École.
Il a obtenu son doctorat de la Pardee RAND Graduate School et son Master de HEC et de l’École d’Économie de Paris.