Conférence de Laurent Bonnefoy le jeudi 15 février 2018

Conférence de Laurent Bonnefoy le jeudi 15 février

« Yémen : pourquoi la guerre ? »

Qu’est devenue l’Arabie heureuse, fantasmée par les Romains dans l’antiquité et rêvée par les orientalistes? Depuis trois ans, la guerre ravage la société yéménite. Malgré l’urgence et les communiqués catastrophés des ONG et la responsabilité des bombardements saoudiens dans cette catastrophe, force est de reconnaître que ce conflit qui bouleverse la vie des 30 millions de Yéménites reste largement « caché » ou plutôt « ignoré ».

La complexité apparente de cette guerre constitue sans doute une première explication des difficultés à en parler et à la connaître par les médias. La guerre échappe à une logique manichéenne et, de plus, implique indirectement les puissances occidentales qui appuient le camp emmené par l’Arabie saoudite. L’offensive militaire « Tempête décisive », menée par une coalition de dix pays conduits par le royaume saoudien depuis le 26 mars 2015, a pour objectif affiché la restauration du pouvoir du président reconnu par la communauté internationale, Abderabbuh Mansour Hadi. Ce dernier a fait appel à son voisin saoudien après avoir été contraint à démissionner en janvier 2015, suite à la prise de contrôle de
la capitale par les miliciens houthistes. Ceux-ci revendiquent la défense de l’authenticité yéménite, mais aussi d’une identité religieuse, le zaydisme, une branche particulière du chiisme.

Les questionnements sur le bien-fondé politique, les implications humanitaires et symboliques de l’offensive, s’expliquent par l’échec patent de la stratégie militaire portée par l’Arabie saoudite. En dehors de la libération d’Aden de l’emprise houthiste au cours de
l’été 2015 (grâce à l’action conjointe de milices sudistes, de groupes salafistes et de l’armée émiratie), le front reste pour l’essentiel gelé et les objectifs affichés de la coalition encore inatteignables. L’arrêt des bombardements saoudiens ainsi que la fin du blocus imposé ne viendraient certes pas régler le conflit, mais constitueraient des décisions à même de relancer un processus politique, des négociations et d’alléger la souffrance des civils.

L’échec de l’opération « Tempête décisive » n’est pas surprenant. Les guerres asymétriques menées pour l’essentiel depuis les airs continuent, quel que soit le terrain, à être inefficaces. La coalition souffre ainsi d’avoir été mal définie et ses objectifs demeurent insuffisamment précis, largement élaborés dans le contexte de la prise de pouvoir progressive de Mohammed Ben Salman à Riyad depuis janvier 2015.

Laurent Bonnefoy

——-

Laurent Bonnefoy est chargé de recherche au CNRS, affecté au CERI/Sciences Po. Né en 1980, il est politiste et arabisant, spécialiste des mouvements salafistes et de la péninsule arabique contemporaine, tout particulièrement du Yémen où il a travaillé pendant quatre ans. Il a en outre été chercheur l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo) et responsable de son antenne palestinienne pendant deux ans.

Il vient de publier Le Yémen : de l’Arabie heureuse à la guerre (Fayard, 2017) et est l’auteur de nombreux articles tant dans des revues scientifiques que dans la presse, notamment le média en ligne Orient XXI dont il est membre du comité de rédaction. Il a enfin co-dirigé plusieurs ouvrages collectifs dont Yémen : le tournant révolutionnaire (Karthala, 2012) et Jeunesses arabes. Du Maroc au Yémen : loisirs, cultures et politique (La Découverte, 2013).[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]